Gouvernement du Nouveau-Brunswick

INTRODUCTION

Le développement des techniques d'élevage et de gestion des découpeuses de la luzerne, aussi appelées mégachiles, est venu suite aux besoins d'améliorer la pollinisation de la luzerne en Amérique du Nord. Une pauvre pollinisation et des rendements variables dans cette culture étaient le résultat d'une population d'abeilles indigènes trop faible. L'utilisation d'abeilles domestiques ne pouvait être une option efficace parce qu'elles ne peuvent polliniser adéquatement la luzerne. Dans les années 1960, lorsque les premières productions commerciales des découpeuses de la luzerne devinrent disponibles, on a vu une augmentation phénoménale de la production de semence de luzerne. Présentement, au Canada, nous produisons 4 billions de découpeuses de la luzerne par année, qui servent pour la production de semence de luzerne autant au pays qu'à l'extérieur. Elles sont aussi utilisées dans d'autres cultures.

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Les mégachiles, un des rares insectes pollinisateurs gérés commercialement, à part les abeilles domestiques, ont été étudiées comme pollinisatrices potentiellles pour la culture du bleuet sauvage depuis le début des années 1990. Elles furent essayées afin de trouver une alternative à la forte demande d'insectes pollinisateurs pour polliniser la culture du bleuet. On s'était arrêté sur cet insecte à cause de sa disponibilité commerciale, des techniques de gestion bien connues et de ses qualités de pollinisatrices. Les mégachiles ont été utilisées sur au-dessus de 300 acres au Nouveau-Brunswick en 1995 et on s'attend à une expansion de leur utilisation dans la région de l'Atlantique dans les prochaines années. En dépit de quelques ajustements pour rencontrer les conditions existantes en Atlantique, l'adaptation de la technologie, développée dans l'Ouest Canadien pour l'élevage et l'utilisation de cet insecte dans les champs de bleuets sauvages, progresse très bien.

CYCLE VITAL

Contrairement à l'abeille domestique, les mégachiles sont des abeilles solitaires, qui construisent leurs nids dans des cavités. Chaque femelle s'accouple puis se met à collecter du pollen, qui servira à nourrir sa progéniture. Malgré leur nature solitaire, les femelles construiront leurs nids près de ceux des autres femelles. C'est ce comportement, associé au fait qu'elles acceptent facilement des nids pré-fabriqués (des panneaux de bois ou de polystyrène perforés), qui permet de gérer de grosses populations de cet insecte. Au printemps, les larves entreposées pendant l'hiver sont sorties de l'entrepôt et placées dans un incubateur à 30 C pour au moins 24 jours, jusqu'à ce que la majorité des femelles éclosent. Les mâles éclosent quelques jours avant les femelles et très tôt après leur émergence, les femelles s'accouplent. À ce point, la nouvelle génération de femelles est prête à être relâchée dans les champs. Après l'accouplement, chaque femelle choisit un tunnel de ponte dans lequel elle construit une cellule de la forme d'un dé à coudre, à partir d'environ 15 morceaux de feuilles de formes ovales. Ces morceaux de feuilles tendres et pliables sont choisis d'une multitude de plantes et sont cimentés entre eux par le jus qu'ils renferment et une sécrétion salivaire. Chaque cellule de ponte est approvisionnée avec une masse de pollen humectée avec du nectar. Un oeuf est pondu juste avant que la cellule soit refermée avec 2 à 3 morceaux de feuilles. La construction des cellules se fait de façon linéaire à partir du fond du tunnel jusqu'à ce qu'il soit rempli (Fig. 1). La femelle referme alors le tunnel avec plusieurs morceaux de feuilles supplémentaires solidement cimentés entre eux. Figure 1. Un dessin démontrant un tunnel de mégachile en coupe transversale

Dans des conditions idéales, une femelle est capable de produire 12 à 15 cellules pendant la durée de sa vie qui est d'approximativement 60 jours. Les cellules sont extraites tard en août ou au début septembre puis entreposées dans un entrepôt frais, sec et à l'abri des souris à une température de 5-8 C, jusqu'au printemps suivant.

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TABLEAU 1. CALENDRIER D'INCUBATION POUR LES MÉGACHILES

Jour 1 Les cocons sont déposés dans les plateaux d'incubation à la noirceur, à une température de 30 C et à 70% d'humidité relative. Des lampes noires (black lights) et des trappes d'eau doivent être installées pour évaluer le degré d'infestation par les parasites. Jour 7 Des languettes de dichlorvos (Vapona) sont placées dans l'incubateur pour le contrôle des parasites.
Jour 8 Les abeilles entreprennent leur mutation finale pour passer au stade de pupe; ce stade est très sensible à la température.
Jours 8-12 Les insectes parasites émergent.
Jour 10 Les pupes démontrent une coloration rose des yeux.
Jour 12 Les pupes noircissent.
Jour 13 Si des languettes de dichlorvos sont utilisées, il faut les enlever et aérer l'incubateur pour 24-48 heures tout en maintenant la température à 30 C.
Jours 14-15 Les mégachiles indigènes, qui ont aussi utilisé les tunnels pour fabriquer leurs nids, émergent.
Jours 14-20 C'est une période dite flexible pendant laquelle le développement des abeilles peut être ralenti afin de synchroniser l'émergence avec la récolte. Ça se fait en abaissant la température du cocon (pas la température de l'air) à 11-15 C pour plusieurs jours. La recherche a démontré que cette période peut être étendue jusqu'à 22 jours mais la plupart des apiculteurs demeurent prudents par rapport à cette période d'extension.
Jour 16 Les premières pupes à éclore (des mâles pour la plupart) sont complètement noires.
Jours 18-19 L'émergence des mâles débute.
Jours 21-22 L'émergence des femelles débute.
Jours 23-24 C'est le pic d'émergence des femelles.
Jour 28 L'émergence des adultes est pratiquement complète.

LA GESTION DES MÉGACHILES

La gestion des mégachiles passe par quatre étapes: l'incubation, le temps au champ, la récolte des abeilles et l'entreposage pour l'hiver. Si les procédures établies sont suivies, le nombre d'abeilles peut être maintenu ou accru jusqu'à 50% de la population initiale qui a été introduite dans la bleuetière. La première génération d'abeilles devra être acquise d'une compagnie située dans l'Ouest Canadien ou par l'entremise d'un grossiste (représentant) dans les provinces Atlantiques. L'industrie est bien réglementée dans l'Ouest Canadien, où le "Canadian Leafcutter Bee Cocoon Testing Centre" situé à Brooks en Alberta émet des certificats sanitaires. Les prix varient en fonction de la qualité des cocons et le taux de production d'abeilles l'année précédente. Les acheteurs de l'Atlantique doivent regarder pour des abeilles non infectées par le couvain plâtré (une maladie dévastatrice des mégachiles) et avec un contenu très bas de parasites prédateurs et autres maladies. Lorsque les abeilles sont reçues, elles doivent être entreposées à une température de 5-8 C, jusqu'à ce qu'elles soient requises.

Il existe plusieurs modèles de chambres d'incubation, à environnement contrôlé, pour incuber les mégachiles. La technique d'incubation des cocons est un système flexible qui permet à l'apiculteur/producteur de synchroniser l'émergence des abeilles avec la floraison des bleuets sauvages. Des dizaines d'années de recherches ont permis le développement de calendriers d'incubation avec lesquels on peut prédire le cheminement du développement de cet insecte. Un tel calendrier est expliqué au Tableau 1.

Les découpeuses de luzernes (mégachiles) sont placées dans les bleuetières au 24-25ème jour d'incubation, lorsque la majorité des femelles sont éclosent. Les plateaux d'incubation sont amenés au champ pendant la nuit, avant le lever du soleil, ceci pour éviter des blessures aux abeilles qui deviennent actives lorsque la luminosité et la température augmentent. Elles devraient être placées au champ seulement lorsque les conditions climatiques sont favorables au butinage vu qu'elles ont besoin de trouver de la nourriture très tôt après leur libération. Une période prolongée (une semaine après les avoir relâchées) sans possibilité de se nourrir, entraîne un taux de mortalité variable. Les abris, incluant les panneaux de nidification, sont placés dans les bleuetières avec une orientation de l'entrée sud à sud-est, pour permettre un maximum de réchauffement et d'exposition à la lumière matinale. Les plateaux d'incubation sont placés ouverts dans l'abri éloigné de l'entrée pour les protéger de la pluie (photo couverture). Si possible, les tenir soulevés du sol pour les protéger. Les abeilles émergent et s'orientent elles-mêmes vers les nids et les abris. Lorsque la floraison du bleuet est terminée, les abeilles peuvent être déménagées à un endroit où il y a de bonnes sources de nourriture afin d'augmenter le taux de reproduction. Ce déplacement doit être fait une nuit suivant une journée ensoleillée, afin de s'assurer que les femelles soient dans les tunnels de nidification parce qu'elles restent souvent au champ lorsque les conditions météorologiques changent brusquement.

Lorsque les panneaux de nidification sont pleins, on les enlève du champ et on les entrepose pour trois semaines à 20 C pour permettre aux oeufs immatures de compléter leur développement et assécher les cocons. Les cocons sont alors extraits des nids et placés dans un entrepôt réfrigéré à 5-8 C pour l'hiver.

LES MÉGACHILES DANS LES BLEUETIÈRES

Les mégachiles ont été introduites dans les bleuetières depuis le début des années 1990, afin d'évaluer leur capacité de polliniser les bleuets sauvages. Dans les régions avec des micro-climats présentant de bonnes conditions d'ensoleillement et de chaleur, les découpeuses de luzerne performent bien avec les conditions climatiques présentes pendant la période de floraison. Des études en Nouvelle-Écosse ont démontré que les mégachiles commencent à voler à une température aussi basse que 16.3 C, débutent le butinage à 16.8 C et font en moyenne 88 heures de butinage pendant la période de floraison. Une fois dans les champs de bleuets, les femelles butinent presqu'exclusivement sur la récolte, tel que démontré par le haut taux de pollen du bleuet (87%) trouvé dans les cellules. Lorsqu'elles butinent, elles visitent une moyenne de 8 fleurs par minute avec un taux de pollinisation au-dessus de 85%.

Les mégachiles vont habituellement butiner sur une distance ne dépassant pas 120 mètres (300 pieds) de l'abri. Cette tendance à rester près des abris, associée au fait qu'elles ont une bonne affinité pour les fleurs de bleuet, fait qu'un très grand nombre d'abeilles restent à travailler sur la récolte. Au contraire, les abeilles domestiques sont souvent détournées de la culture principale pour se retrouver sur des plantes compétitrices. Ceci est dû à leur capacité de vol et à leur faible préférence pour les bleuets. Les mégachiles semblent exiger une température plus haute que les abeilles domestiques pour débuter leurs activités. Quoique les dômes et les nids peuvent être volumineux, leur déplacement est relativement facile et tout compte fait, ne sont pas plus encombrants que ceux des abeilles domestiques. Les mégachiles offrent aussi l'avantage d'avoir une cédule d'incubation flexible, qui peut être synchronisée pour correspondre à la période de floraison de la récolte. Leur élevage exige des capacités d'entreposage munies d'un système de contrôle de la température, (coûteux) mais dans le nord du Nouveau-Brunswick, c'est aussi le cas pour les abeilles domestiques. L'approvisionnement en mégachiles est très bon au Canada et de plus, la piqûre de ces abeilles n'est pas douloureuse. Le fait que ces abeilles ne donnent aucun autre produit que la pollinisation elle-même, ceci peut être considéré un avantage ou un désavantage dépendant du besoin du producteur ou de l'apiculteur.

La densité d'abeilles butinant à différentes distances de la ruche dépend du taux d'introduction initial. Dans les recherches en Nouvelle-Écosse, les mégachiles ont augmenté la mise à fruits de 9 à 24%, à des taux d'introduction variant entre 14,000 et 22,000 abeilles. Il existe une corrélation très positive entre la densité d'abeilles et l'accroissement de la mise à fruits. Pour plus d'information sur la façon de déterminer le % de mise à fruits dans les champs de bleuets sauvages, veuillez vous référer au feuillet de renseignement B.2.0 de cette série.

ÉQUIPEMENT REQUIS

Les producteurs de bleuet sauvage des Maritimes introduisent environ 14-22,000 mégachiles par acre. Un gallon contient 10,000 abeilles vivantes.. Les cocons sont placés dans un plateau pour l'incubation. Au champ, elles sont placées dans un abri. Dans l'Ouest Canadien, on a développé plusieurs types d'abris. Le type le plus utilisé dans la région de l'Atlantique est le dôme en polyéthylène à cause de sa capacité de réchauffement et sa durabilité. Un abri pour 4 à 5 acres et contenant de 10 à 12 panneaux de nidification est placé dans le champ. Un panneau contient assez de tunnels pour chaque gallon d'abeilles. La femelle pond ses oeufs dans les tunnels. Un arrangement typique est présenté dans la photo couverture. Tôt l'automne, les abeilles (pré-pupes) sont extraites (récoltées) des nids et entreposées pour l'hiver (Figure 2). À cause des coûts associés avec l'achat d'équipement pour l'extraction des mégachiles, les nouveaux producteurs/apiculteurs ont tendance à travailler ensemble ou à utiliser des services à forfait pour l'extraction des abeilles. Il y a présentement deux extracteurs dans les maritimes. Les cocons récoltés sont placés dans des contenants et entreposés pour l'hiver dans une salle fraîche, sèche et à l'abri des souris. L'entrepôt doit être maintenu à 5-8 C et au moins 50% d'humidité relative. Les chambres d'incubation ont besoin de chaufferettes, humidificateurs, appareils pour le contrôle de la température, des prises de courant et des étagères pour les plateaux d'incubation. Vous devez être capables de maintenir une température uniforme de 30 C et une humidité relative de 70% dans une noirceur complète pour toute la durée d'incubation. Une alarme réagissant à une variation de température est recommandée. Des chambres de différents niveaux de sophistication peuvent être utilisées (Figure 3). Référez-vous à la publication d'Agriculture Canada # 1495 pour les devis de construction (voir références).

 

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Fig. 2 Équipement pour l'extraction des mégachiles

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Fig 3. Chambre d'incubation peu sophistiquée

Il y a une évolution dans les services de livraison des mégachiles pour l'industrie du bleuet sauvage. Il y a une flexibilité dans le genre de services offerts allant de services de pollinisation à forfait aussi bien qu'à un service partiel avec plusieurs options sur la propriété partielle d'équipements. L'expertise est en croissance aux Maritimes et ce à la fois au niveau des services que dans celui du secteur publique. Pour plus d'informations, s'il-vous-plaît vous référer aux références ou contactez votre représentant du M.A.A.R.N.B.

Références :

Javorek, S and K. Mackenzie. 1994. Alflalfa Leafcutter Bees Pollinate Lowbush Blueberry. Agriscope: Vol 4. No. 2:1- 2

Meyer, R. and D. McBride. 1989. Alfalfa Seed Production and Leafcutting Bee Management. North Dakota Extension Service. Publication No. EB-54. 10pp.

Richards, K.W. 1984. Alfalfa leafcutter bee management in Western Canada. Publication 1495 E. Agriculture Canada (aussi disponible en français, Publication, 1495F).53pp.

Rédigé par:
John Argall, Agr., Spécialiste provincial du bleuet, Ministère de l'Agriculture & de l'Aménagement Rural du N.-B,;
Kenna McKenzie, Entomologiste, Agriculture et Agro-Alimentaire Canada, Station de Recherche de Kentville, Nouvelle-Écosse;
Steve Javorek, Biologiste, Services diversifiés en pollinisation;
Gaétan Chiasson, Agr., Spécialiste Horticole, Ministère de l'Agriculture et de l'Aménagement Rural du N.-B.

Hiver 1996