Gouvernement du Nouveau-Brunswick

Mai 1991, n 91.2
Murray Snowdon, spécialiste de la nutrition animale

En cette période où de nombreuses personnes s'intéressent beaucoup au recyclage et à la réduction des déchets, il est bon de rappeler que les animaux d'élevage sont justement utilisés à cette fin depuis que l'homme les a domestiqués. Ils continuent de jouer un rôle important dans l'utilisation d'aliments rejetés pour diverses raisons et souvent désignés par les termes « sous-produits » ou « aliments d'éventualité ».


Disponibilité des aliments de rebut

De nombreux sous-produits destinés à la nutrition animale ont une forte teneur en eau ou sont volumineux, ce qui empêche de les utiliser économiquement ailleurs que dans la région où ils sont produits. Les pommes de terre de rebut sont un des sous-produits alimentaires les plus facilement accessibles au Nouveau-Brunswick, et elles peuvent véritablement être servies aux animaux comme aliment d'éventualité par les éleveurs de la région qui doivent importer des céréales.

Les pommes de terre peuvent être déclassées pour diverses raisons comme la grosseur, la couleur, la forme et l'état pathologique. La saison de végétation, la valeur marchande des pommes de terre et la période de l'année sont autant de facteurs qui influent sur la disponibilité, le coût et la qualité des pommes de terre de rebut. Au Nouveau-Brunswick, le volume des pommes de terre de rebut disponibles peut atteindre 135 millions de tonnes par année.

Manutention et entreposage

Comme un chargement de 10 tonnes de pommes de terre renferme presque 8 tonnes d'eau, la distance où l'on peut transporter économiquement les pommes de terre est très limitée.

Les pommes de terre peuvent geler et l'entrepôt isolé est le meilleur endroit pour les conserver pendant l'hiver, mais il ne serait pas économique de construire un bâtiment qui ne servirait qu'à cette fin. Il est également difficile de conserver des pommes de terre de rebut par temps chaud, surtout dans le cas des tubercules lavés qui se dégradent facilement. La consommation rapide est sûrement la meilleure politique à toute période de l'année.

Les producteurs doivent indiquer à leurs fournisseurs de ne pas leur livrer des lots de pommes de terre de rebut qui renferment beaucoup de pierres. Elles peuvent endommager les machines, et il faut consacrer du temps pour les retirer des mangeoires.

On peut entreposer les pommes de terre non tranchées en les disposant par couches dans un silo horizontal avec du foin préfané. Mais comme les pommes de terre de rebut ne sont pas toujours disponibles au moment où il faut remplir les silos, ce genre d'entreposage est souvent impossible.

On peut également ensiler un mélange composé de trois parties de pommes de terre hachées et d'une partie de foin haché. Toutefois, le coût de l'opération limite beaucoup le recours à cette méthode.

La forte teneur en eau et les grands volumes en cause font des pommes de terre un aliment qui se distribue bien par système automatique, parce qu'il permet de minimiser le temps et la main-d'oeuvre nécessaires pour la manutention. De nombreux producteurs tentent de servir les pommes de terre aux animaux dans un contexte qui exige beaucoup de travail manuel, et ils ne tardent pas à se décourager et à revenir aux aliments plus conventionnels.

Valeur nutritive

Le principal apport des pommes de terre de rebut dans la ration des animaux est leur valeur énergétique. À quantité égale de matière sèche, elles produisent autant d'énergie que les céréales fourragères à cause de leur taux élevé de fécule.

Au moment d'acheter ou de servir des pommes de terre, il faut tenir compte de la teneur en eau des 4,5 kilogrammes de pommes de terre requis pour remplacer un kilogramme de maïs ou d'orge.

Comme la fécule des pommes de terre crue est difficile à digérer, une trop grande quantité de cette matière se trouve soustraite à la dégradation ruminale chez les animaux qui consomment beaucoup de pommes de terre. Lorsque cette fécule non digérée atteint le tractus intestinal inférieur, il peut se produire des troubles digestifs. Ce risque de problèmes digestifs justifie en partie l'établissement d'une quantité maximale recommandée pour la ration.

À cause de leur très faible teneur en fibres, les pommes de terre ne peuvent être considérées comme un aliment fourrager de remplacement; elles seraient plutôt équivalentes à une céréale humide.

Les pommes de terre ne sont pas très riches en protéines, et les animaux qui en consomment beaucoup sans supplémentation de protéines ne présentent pas une bonne performance ou un bon indice de consommation. Les animaux peu lourds ont des besoins élevés en protéines (par rapport à l'ensemble de la ration), ce qui rend la supplémentation de protéines encore plus importante dans les rations à base de pommes de terre. La valeur nutritive générale des pommes de terre est présentée au tableau 1.

Incorporation des pommes de terre dans la ration


Les pommes de terre doivent être incorporées graduellement dans la ration, surtout pour les animaux récemment livrés. La consommation par ces animaux de grandes quantités d'aliments humides et féculents, comme les pommes de terre, peut ajouter à leur stress et causer des problèmes sanitaires.

Appétabilité

Une certaine adaptation est nécessaire, mais les animaux trouvent les pommes de terre appétentes et les consomment volontiers. Des vaches laitières soumises à des essais de consommation ont absorbé plus de 45 kilogrammes de pommes de terre de rebut par jour.

Malgré une grande consommation spontanée par les animaux, on constate généralement une baisse de performance lorsque les pommes de terre constituent beaucoup plus de 30 p. 100 de la matière sèche de la ration. Dans la plupart des cas, il vaut mieux limiter le taux de pommes de terre à moins de 30 p. 100 de la ration.

Cuisson

Les pommes de terre crues sont une excellente source d'énergie pour les ruminants (bovins et ovins), mais elles ont une faible valeur alimentaire pour les porcs à cause de la présence de facteurs antinutritionels et de la mauvaise digestibilité de la fécule. Les pommes de terre cuites constituent une bonne source d'énergie pour les porcs, mais il est généralement plus économique de servir directement les pommes de terre crues aux animaux.

Teneur en eau

Les pommes de terre renferment de 75 à 80 p. 100 d'eau, et il faut prendre soin de ne pas les servir avec d'autres aliments humides et obtenir ainsi une ration dont la teneur en eau dépasserait 70 p. 100. La consommation et le gain journalier sont fréquemment réduits lorsqu'on sert des rations humides, surtout par temps froid.

Les fèces humides des animaux ayant des rations à forte teneur en eau rendent souvent difficile et coûteux de garder les animaux secs et confortables, et elles constituent un autre facteur de la baisse de performance attribuable aux rations humides.

Teneur en fibres

Les problèmes digestifs quelquefois attribués à la forte teneur en eau des pommes de terre sont plutôt causés par leur très faible teneur en fibres. Lorsque les animaux consomment une grande quantité de pommes de terre, il faut ajouter à la ration une source de fibres (fourrage grossier) pour assurer un fonctionnement normal et efficace du rumen.

Dans le cas des vaches laitières, une insuffisance de fourrage grossier réduit la matière grasse du lait et peut causer des troubles digestifs associés à un régime pauvre en fibres. Il faut toujours suivre les recommandations d'usage en ce qui concerne la teneur minimale en fibres (fourrage grossier), et porter une attention spéciale lorsque la ration contient beaucoup de pommes de terre.

Il suffit d'un kilogramme de foin par jour pour fournir suffisamment de fibres à un animal de court engraissement, mais l'animal à l'engraissement pendant plus de 60 jours doit recevoir plus que cette quantité minimale.

Glycoalcaloïdes

Les germes de pommes de terre et les tubercules verdis sous l'effet du soleil renferment des taux élevés d'alcaloïdes toxiques. Une quantité moyenne de tubercules germés ou verdis ne présente pas grand risque, mais il vaut mieux éviter de servir ces tubercules aux animaux en grande quantité.

Étouffement

Les pommes de terre de certaines formes et grosseurs peuvent obstruer les voix respiratoires des animaux. Il est relativement rare que des animaux s'étouffent et meurent de cette façon, mais certains producteurs hésitent à utiliser les pommes de terre par crainte de cette éventualité.

Le risque d'étouffement est minimisé lorsque les mangeoires sont conçues de façon à ce que les animaux gardent la tête baissée en mangeant. Une mangeoire assez grande contribue à réduire la concurrence entre les animaux pour les pommes de terre et à diminuer les risques d'étouffement. Les risques d'étouffement sont plus grands avec les petits tubercules, surtout lorsqu'ils sont gelés, et la prudence est de mise. La seule façon d'éviter toute possibilité d'étouffement est de hacher les pommes de terre avant de les servir, mais les avantages de cette mesure sont discutables.

Privation d'eau

Certains producteurs limitent ou empêchent totalement la consommation d'eau pour les animaux dont la ration contient de grandes quantités de pommes de terre. On suppose qu'avec une réduction de l'eau absorbée, il se produit une baisse de la teneur en matière sèche de l'aliment dans l'appareil digestif, les fèces sont plus sèches et les animaux ont une meilleure performance. Certains producteurs obtiendraient de bons résultats avec cette méthode, mais elle n'est pas recommandée à cause du risque de déshydratation et de baisse de la performance animale.

Lignes directrices pour l'alimentation

On obtiendra de meilleurs résultats à long terme avec un approvisionnement régulier de pommes de terre de rebut. L'approvisionnement irrégulier à court terme est un facteur de risque pour un programme d'alimentation.

Les rations exactes recommandées varient dans chaque cas, mais quelques lignes directrices s'appliquent en général. Le tableau 2 présente des lignes directrices pour l'alimentation de diverses catégories d'animaux. On peut dépasser sans risque la plupart de ces quantités, mais il est douteux que ce soit une bonne décision à cause de la baisse conséquente probable de la performance animale et de la valorisation des aliments.

Supplémentation de protéines dans les rations de pommes de terre

Les pommes de terre apportent beaucoup d'énergie dans une ration, mais relativement peu de protéines. L'absence d'une supplémentation adéquate de protéines est la cause des résultats désappointants obtenus par certains producteurs avec l'utilisation des pommes de terre dans l'alimentation. Dans les cas où les pommes de terre remplacent totalement ou en partie un mélange céréalier, il est bon de respecter à peu près les taux de remplacement indiqués au tableau 3.

Ainsi, lorsqu'on utilise des pommes de terre pour remplacer un mélange céréalier à 14 p. 100 de protéines, chaque unité du mélange remplacé représente une combinaison d'énergie, de protéines, de minéraux et de vitamines. Les pommes de terre remplacent toute l'énergie et une partie des protéines, mais elles contribuent très peu à l'apport de minéraux et de vitamines dans la ration.

Supplémentation de minéraux et de vitamines dans les rations à base de pommes de terre

Comme les pommes de terre sont pauvres en minéraux (surtout en calcium et en magnésium) et en vitamines, il faut enrichir les rations des animaux qui en consomment beaucoup. Dans certains cas, les minéraux et les vitamines nécessaires sont présents dans le complément protéique commercial, ou ils peuvent être incorporés dans un complément protéique préparé à la demande du client. Il faut prévoir la consommation de sel à volonté dans chaque cas, car les besoins en sel peuvent augmenter avec une ration à forte teneur en eau.

On doit toujours privilégier l'addition de compléments minéraux et vitaminés directement dans la ration, que ce soit dans le mélange céréalier ou dans la mangeoire. Les animaux ne consomment généralement pas la quantité requise d'un minéral offert à volonté : ils en consomment trop ou pas assez en général. Il vaut mieux considérer l'offre de minéraux à volonté comme une mesure de sécurité additionnelle plutôt qu'une partie essentielle de la ration.

Dans certains cas, l'alimentation à volonté est le seul moyen pratique de fournir les compléments minéraux. On utilise alors un minéral qui est aussi complet que possible. Presque tous les minéraux renferment du calcium et du phosphore à divers degrés. Le minéral qui renferme du magnésium et du sélénium doit être considéré comme meilleur. La présence d'un taux de vitamines élevé est aussi un avantage lorsqu'il n'existe pas de programme régulier d'injection de vitamines. Il est aussi préférable que le mélange céréalier renferme du sel dans la plupart des cas.

Lorsque les minéraux sont déposés en couverture dans la mangeoire, la dose raisonnable se situe entre 50 et 100 grammes par animal par jour. La quantité exacte requise varie en fonction des autres aliments de la ration et du complément minéral utilisé.

Il ne faut pas oublier que le sel enrichi d'oligo-éléments n'est pas l'équivalent d'un minéral commercial. Comme son nom l'indique, ce sel contient des oligo-éléments (cuivre, zinc, etc.), mais il ne renferme pas les principaux minéraux que sont le calcium, le phosphore et le magnésium, et il ne peut entrer dans la catégorie des compléments minéraux complets.

Conclusions

Les facteurs dont il faut tenir compte pour l'utilisation des pommes de terre dans une ration sont les mêmes que pour tout autre sous-produit à forte teneur en eau. Le coût d'achat, le coût de manutention et l'approvisionnement régulier sont des facteurs importants.

Il faut bien analyser le coût total de l'utilisation des pommes de terre pour l'alimentation des animaux. Le coût peut être considérable selon l'emplacement de la ferme et les systèmes d'entreposage et de manutention nécessaires. Le prix payé pour les pommes de terre doit s'ajouter aux coûts prévus pour le transport, l'entreposage et la distribution des tubercules.

Comme les pommes de terre sont pauvres en protéines et riches en énergie, il faut déterminer dans quelle mesure elles complètent les autres aliments de la ration. Lorsque tous les autres aliments disponibles sont pauvres en protéines, il serait préférable de ne pas incorporer de pommes de terre à la ration.

Les pommes de terre sont un aliment très énergétique qui doivent concurrencer les céréales fourragères conventionnelles. Lorsqu'elles sont consommées à des taux moyens, la performance animale doit être semblable à celle des animaux qui reçoivent une quantité équivalente de céréales sèches. Le coût des pommes de terre et de la main-d'oeuvre nécessaire pour la manutention sont des facteurs importants à considérer lorsqu'on analyse la faisabilité d'incorporer cet aliment dans la ration.

TABLEAU 1. TENEURS MOYENNES EN ÉLÉMENTS NUTRITIFS

POMMES DE TERRE DE REBUT

Élément

Teneur en %

 

À la distribution

À sec

Matière sèche

20

100

Protéines

1,8

9

Unités nutritives totales

17

85

détergent acide

0,06

3

Calcium

0,008

0,04

Phosphore

0,04

0,2

Magnésium

0,028

0,14

TABLEAU 2. QUANTITÉS MAXIMALES RECOMMANDÉES

Catégorie d'animaux

Poids des animaux

Apport quotidien

kg/100 kg

de poids vif

Génisses de race laitière et de race à viande

Moins de 300 kg

Plus de 300 kg
2

3
Vaches laitières et vaches de race à viande

 

3

Bovins de boucherie en croissance-finition

Plus de 300 kg

De 300 à 400 kg

Plus de 400 kg

2 - 3

4 - 5

5 - 7

TABLEAU 3.

Pommes de terre devant remplacer :

Pour chaque kg de mélange céréalier enlevé de la ration, substituer :

Un mélange céréalier à 12 % de protéines

3,5 kg de pommes de terre
0,2 kg de complément protéinique*

Un mélange céréalier à 14 % de protéines

3,4 kg de pommes de terre
0,25 kg de complément protéinique

Un mélange céréalier à 16 % de protéines

3,3 kg de pommes de terre
0,35 kg de complément protéinique

Un mélange céréalier à 16 % de protéines

3,2 kg de pommes de terre
0,4 kg de complément protéinique

* Dont la teneur en protéines est de 32 p. 100z.